Notesprises lors de l’entretien livré à Ottawa (Canada) les 17 et 18 octobre 2008 par Dr Margaret Somerville, du Centre pour la Médecine, l’Éthique et la Loi de l’Université McGill à Montréal
- La légalisation de l’euthanasie changerait radicalement notre vision du monde, « l’histoire partagée » que nous nous racontons et acceptons mutuellement afin de créer le « ciment » qui nous lie ensemble comme société. La prohibition de s’entretuer est la pierre angulaire du droit et des relations humaines, accentuant notre égalité respective, soit l’un des fondements essentiels de la démocratie. Dans un monde où prime l’individualisme exacerbé, où les valeurs partagées disparaissent, enlever cette prohibition serait particulièrement dangereux ;
- Comme l’expérience aux Pays-Bas le démontre, il est très difficile de contrôler la pratique de l’euthanasie légalisée. Les restrictions et les mesures de sauvegarde sont souvent contournées. De plus, comme le montre également l’expérience aux Pays-Bas, les circonstances dans lesquelles l’euthanasie est permise ne cessent de s’étendre. Par exemple, la légalisation de l’infanticide, avec l’acceptation récente du protocole de Groningen, permet aux parents d’enfants handicapés de demander leur euthanasie. Cela témoigne d’une philosophie et d’une vision du monde selon lesquelles nos sociétés sont en meilleure posture lorsqu’elles sont épurées de toute personne qui ne soit pas autonome ou qui soit imparfaite mentalement ou physiquement. La quête de la perfection chez les êtres humains est l’un des objectifs les plus dangereux que l’on puisse rechercher si nous espérons maintenir la valeur partagée du respect de la vie humaine ;
- Aujourd’hui, la douleur intraitable se raréfie, et si de tels cas se présentent, la « sédation palliative » peut être utilisée. Une meilleure formation des professionnels de la santé en gestion de la douleur viendrait régler certaines difficultés actuelles en permettant de fournir un soulagement de la douleur adéquat (cela présuppose que des budgets suffisants y soient consentis) ;
- Les soins palliatifs sont la première victime de la légalisation de l’euthanasie. Là où l’euthanasie a été légalisée, les budgets affectés aux soins palliatifs, aussi appelés « soins de confort » (p. ex. traitement de la douleur ; atténuation des symptômes) ont connu des compressions importantes, à un point tel que, par exemple, le suicide assisté est couvert mais pas les traitements de chimiothérapie ;
- La légalisation de l’euthanasie changerait radicalement le monde de la médecine. Les médecins, pour leur part, devraient dorénavant être formés pour enlever la vie, ce qui répugnerait à plus d’un. (À noter que certaines personnes tentent déjà de contraindre les médecins à agir à l’encontre de leur conscience. Les commissions des droits de la personne et les associations professionnelles médicales des diverses provinces canadiennes menacent de punir tout médecin qui refuse de pratiquer des avortements ou de référer pour ceux-ci.) En outre, l’expérience aux Pays-Bas et dans le Territoire du Nord en Australie (où l’euthanasie a été légalisée pendant 11 mois en 1997) montre que la légalisation de l’euthanasie rend de nombreux patients très appréhensifs des protocoles de traitement, spécialement ceux visant le soulagement de la douleur, craignant d’être euthanasiés ;
- Les études montrent que nous avons un instinct naturel qui nous empêche de tuer nos frères humains et que pour ce faire nous devons les déshumaniser. Ainsi, l’euthanasie créé une situation où l’instinct des médecins de ne pas tuer doit être « cassé », et les patients, déshumanisés. Comme l’histoire nous le montre, il s’agit là d’avenues très dangereuses à emprunter ;
- Les risques et les conséquences pour la société de légaliser l’euthanasie sont beaucoup plus importants que tout bénéfice éventuel que quelques personnes pourraient en retirer. Refuser de ratifier ou de légaliser des interventions visant à infliger la mort comme l’euthanasie et le suicide assisté, et investir davantage dans les choix affirmatifs de la vie demeure la voie la plus salutaire pour le mieux-être tant de la société dans son ensemble que des individus qui la composent.