L’avortement cause-t-il le cancer du sein?
Isabelle Coulombe
Le lien entre l’avortement et le cancer du sein fait l’objet d’une controverse depuis des années. Difficile de démêler la vérité quand les tenants et les opposants s’accusent de part et d’autre de se servir de la science à des fins idéologiques.
On a publié 70 recherches sur le sujet depuis 1957, selon la campagne pro-vie «Stop the Cover-up». Environ 80% d’entre elles démontrent un lien entre l’avortement et le cancer du sein, appelé aussi le lien ABC (“Abortion and Breast Cancer”). Pourtant, la Société canadienne du cancer, l‘Institut national du cancer du Canada, ainsi que d’autres sociétés vouées à la prévention comme le «National Cancer Institute”»aux États-Unis, de même que le gouvernement canadien ne reconnaissent pas l’avortement comme une des causes du cancer du sein.
Même si, en général, on admet qu’une grossesse menée à terme protège contre le cancer du sein. Actuellement, le discours médical prétend que dans 70% des cas, on ignore les facteurs de risque.
Pourtant, fait-on remarquer dans le site de la campagne «Stop the Cover-up», il est admis que les pesticides sont un facteur de risque possible, même s’il n’existe pas à ce jour de preuves irréfutables. Alors, pourquoi rejeter d’emblée l’avortement sous prétexte que les preuves sont insuffisantes? Puisqu’il existe au moins 50 recherches confirmant le lien ABC.
Ces recherches sont-elles toutes le fruit de militants pro-vie déguisés? Une recherche très connue, pubiée en 1994, «Risk of Breast Cancer Among Young Women: Relationship to Induced Abortion», a soulevé la controverse. Janet Daling, chercheuse en épidémiologie à la «Fred Hutchison Cancer Institute», à Seattle, a découvert que le risque du cancer du sein montait de 50% après un avortement.
Fait important, Janet Daling a étudié les données sur les fausses couches de façon indépendente et en a conclu qu’elles n’étaient pas un facteur de risque du cancer du sein.
«Elle était pro-choix, souligne Dr. Déborah Zeni. Mais, elle s’est rendu compte que les patientes qu’elle opérait demandaient fréquemment si leur avortement était à l’origine de leur cancer. Évidemment, elle répondait qu’il n’y avait aucune incidence. Toutefois, elle a commencé à se pencher sérieusement sur la question le jour où sa sœur a été victime du cancer du sein.»
En 1996, Dr. Joel Brind, professeur d’endocrinologie, publie une meta-analyse démontrant que l’avortement augmente de 30% les risques de cancer du sein. L’étude réunissait les données de nombreuses études précédentes.
Selon la campagne «Stop the Cover-up», en 1998, la première conférence mondiale sur le cancer du sein, tenue à Kingston, en Ontario, a reconnu le lien entre l’avortement et le cancer du sein.
Autre recherche intéressante, mais d’un autre ordre, celle de Patrick Caroll, statisticien anglais et directeur du «Pension and Population Research Institute». L’étude démontre que le taux de cancers du sein varie selon le taux d’avortements pratiqués dans certaines régions des îles britanniques. Par exemple, en Irlande, où l’avortement est interdit, le taux de cancers du sein est le plus bas. Par contre, à Londres, où l’avortement est courant, le taux de cancers du sein est le plus haut. De plus, il semble que la prévalence du cancer du sein a grimpé de 70% entre 1971 et 2002, c’est-à-dire à partir du moment où l’on a légalisé l’avortement.
Toutefois, les sociétés de prévention du cancer et les mouvements pro-choix s’appuient sur d’autres recherches contredisant le lien ABC.
En 2003, le «National Cancer Institute» (NCI) des États-Unis a invité différents experts à se pronoucer sur les causes du cancer du sein. Dans le rapport final, on a déclaré qu’il n’existait aucun lien entre le cancer du sein et l’avortement.
Or, de l’avis du Dr. Joel Brind de la «Breast Cancer Prevention Institute», invité à cette fameuse tribune d’experts de la NCI, la position des tenants du lien ABC n’a pu être exposée que partiellement, contrairement aux opposants. «On a abruptement conclu l’atelier, sans avertissement, avant la conférence publique», déplore-t-il. Et bien que lui-même ait pu faire part de ses recherches, il n’en est pas fait mention dans le rapport final. Selon lui, cette négligence pourrait donner l’impression que l’avis des experts faisait l’unanimité.
En mars 2004, Valerie Beral et ses collègues d’Oxford ont publié un article dans la prestigieuse revue «The Lancet» réfutant le lien ABC. Il s’agissait d’une analyse des données des études sur le lien ABC. Or, soutient la compagne «Stop the Cover-up», cet article a mis de côté une quinzaine d’études prouvant le lien ABC pour des raisons apparemment non-scientifiques, telles que: «Les principaux chercheurs… n’ont pu être retracés.”» «Les données originales n’ont pu être retrouvées.»
S’il existe réellement un lien ABC, quelles en seraient les causes? Dr. Deborah Zeni explique. «Quand vous tombez enceinte, votre corps vit de nombreux changements. Votre niveau d’œstrogène monte considérablement. C’est pourquoi votre poitrine gonfle, avant même que votre ventre ne paraisse.»
Les cellules prolifèrent en se divisant grâce à l’œstrogène. Après un certain nombre de semaines, ces cellules commencent à se différencier, elles deviennent des cellules lactifères.
«Or à l’avortement, le corps cesse de produire de l’œstrogène. Les cellules cessent de se diviser. Si vous arrêtez la grossesse avant 12 semaines, les cellules n’ont pas le temps de se différencier. Elles n’ont pas de gènes minuscules à l’intérieur qui leur dit qu’elles devraient s’auto-détruire.»
À ce stade indifférencié, les cellules sont beaucoup plus vulnérables au cancer et restent dans le corps de la femme. C’est du moins où en sont les recherches sur le lien ABC.
Toutefois, on assure qu’ «une grossesse qui se termine par une fausse couche et un avortement volontaire sont physiologiquement incomparables.»
Étrangement, le rôle de l’œstrogène dans la prolifération des cellules vulnérables au cancer est reconnu par l’ensemble de la communauté scientifique. La pilule contraceptive et le traitement hormonal substitutif sont maintenant admis comme facteur de risque.
«Quand on a découvert que le traitement aux homones pour la ménopause augmentait de 50% les risques de cancer du sein, on a sonné l’alarme. Et bien, il existe les mêmes statistiques pour l’avortement, et je n’ai pas vu la même réaction dans la communauté scientifique», s’indigne Deborah Zeni.
Comme le souligne Dr. Joel Brind, nous ne savons pas parfaitement pourquoi l’exposition des cellules à un haut taux d’œstrogène entraîne le cancer du sein. Les hypothèses scientifiques ne s’entendent pas toutes sur le mécanisme exact. Mais, selon lui, nous avons assez de données sur le sujet pour nous inquiéter.
Aussi, la campagne «Stop the Cover-up» croit que le gouvernement canadien devrait encourager les recherches au lieu de rejeter d’emblée la théorie du lien ABC. La campagne s’interroge sur les motifs exacts qui poussent le gouvernement et les autorités scientifiques à balayer du revers de la main plus de 50 études.
Pourtant, argue-t-on, la Cour suprême du Canada oblige les médecins à révéler les risques d’une intervention médicale, même si les liens de causes à effet n’ont pas encore été clairement établis.
Réimprimmé avec permission du NIC, 5 février 2006.